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Bai Jia Bei
28 juillet 2011

un texte...

...plus précisément le témoignage d'une sage-femme... un autre regard...

trouvé ici : http://sagefemme.canalblog.com/

" Elle avait 18, 20 au plus 22 ans. Ce matin là, elle est arrivée en début de travail. Sur son dossier, en rouge en gros : Accouchement sous X. Je ne connaîtrai donc jamais son vrai nom, ni son prénom.Je lui propose de l'appeler par ce prénom d'emprunt. Je lui explique qu'elle va accoucher. Je baisse le son du monitoring au maximum, pour ne pas l'importuner. Ses yeux sont baissés, elle me regarde le moins possible, son regard me fuit. Je me sens obligée de lui rappeler que je suis là pour l'accompagner dans sa décision, que je ne suis pas là pour la juger, mais pour l'aider. Ses yeux se lèvent enfin et elle s'autorise à me regarder. Elle souhaite une péridurale, et elle est rapidement soulagée. Le travail se déroule normalement. Elle s'exprime peu, je n'entendrai pas beaucoup le son de sa voix, ce jour-là.Elle n'a encore pas vu le monsieur de l'aide à l'enfance, qui doit lui rappeler ses droits, alors je l'appelle, lui dit qu'il doit passer, avant que l'enfant ne soit né. En attendant, j'en profite pour discuter avec elle de ses volontés pour ce bébé: Voudra-t-elle le nommer, le voir, le toucher, lui laisser une lettre ? Rien de tout cela. Elle ne veut pas le voir, ni lui donner de prénom . Elle est sûre d'elle, je vois bien qu'elle y a réfléchi.

              Le temps passe . Le travail avance à son rythme. Elle n'a pas mal, elle se repose. Le monsieur arrive, discret, respecteux. Je le fais entrer auprès d'elle et ferme la porte. 45 minutes plus tard , il ressort. Il m'assure que sa décision est bien prise. Que cette jeune femme a bien réflechi. Nous discutons ensemble de la loi, de ce que je devrai faire après la naissance, tous ces tracas administratifs... Soudain, j'entends un cri , la sonnette résonne dans la foulée. Je me précipite, et je découvre une jeune femme apeurée qui crie que ça va sortir, qu'elle a mal, qu'elle n'en peut plus. Le temps d'enfiler un doigtier et je découvre que la petite tête est là sur le périnée, prête à sortir. La jeune femme est complètement paniquée, elle ressent son bébé sur le point de sortir et elle crie. J'essaie de la rassurer : " c'est bientôt fini, allez, il faut pousser". Surtout ne pas utiliser le vocabulaire normalement utilisé, faire attention à cette arrivée, ne pas le poser sur le ventre.Il faut absolument y penser. La jeune femme pousse, son bébé naît rapidement et me voilà prise au dépourvu... Je n'avais rien prévu pour poser le bébé, me voilà bien en difficulté pour couper le cordon, j'ai besoin de mes deux mains. Je veux aussi me dépêcher, pour ne pas qu'elle l'entende crier. Alors je "coince" le bébé entre la table et ma hanche, et je réussis à couper ce seul lien qui les unissait à jamais. Je le saisis dans mes bras, le cache dans un draps et sort précipitamment pour m'occuper de lui dans la pièce à côté. Ce bébé est magnifique. Il crie à pleins poumons, est en excellente santé. Je le mets en couveuse, le temps de finir de m'occuper de la maman. Je la retrouve telle que je l'ai laissée avant le passage du monsieur : le visage impassible, la panique a disparu . Elle ne me posera ausune question sur son bébé. Ne veut rien voir, rien entendre, l'intensité de la naissance ne l'aura pas fait changé d'avis. Je finis de m'occuper d'elle, la remet au propre et retourne auprès du bébé. Je m'installe avec lui dans la pièce d'à côté. J'ai du temps aujourd'hui, c'était la seule à accoucher. J'ai envie de prendre soin de ce bébé. Alors c'est moi qui vais le baigner, puis l'habiller avec des habits de prêt, trouvés en pédiatrie. Ce bébé est calme et éveillé. Je lui raconte son histoire pendant ses soins, lui explique que sa maman l'aime et que c'est pour cela qu'elle a choisi de le confier à une autre maman. Ce regard de nouveau-né si intense... La profondeur de ces yeux qui me fixent, comme s'il pouvait comprendre ... Une fois le biberon avalé, ce bébé s'endort, calmement. Il rejoint son berceau, et je le confie à mes collègues dans le service pour qu'elles puissent prendre le relai. Ce bébé restera en maternité, puis ira en pédiatrie en attendant sa famille d'accueil. Je peux ramener la jeune femme dans sa chambre, qui croisera quelques mamans dans le couloir avec leurs bébés. Je ne peux pas l'éviter. Je la félicite pour son courage, et je vois que ses yeux s'embuent. Je la laisse à son chagrin, consciente que je ne pourrai rien lui apporter de plus. C'est son histoire.

    Reste à faire tous les papiers.

    Parce que quand même, ce bébé, il faut bien le nommer, le faire exister au travers de trois prénoms que nous choisirons en équipe. Un doigt posé au hasard sur le calendrier, deux changements car deux prénoms trop laids, et ce bébé existe maintenant avec ses 3 prénoms. Mes collègues lui confectionneront un petit carnet avec des photos de lui bébé. Nous arriverons même à lui dénicher un doudou. Il sera choyé, cajolé plus que tout autre nouveau-né. Je sais que sa mère n'aura pas renoncé. Elle partira de la maternité sans un regard pour lui.

      Un regard, non. Mais des larmes, si."

Un grand merci à toutes ces femmes (et hommes) qui parfois, voient passer une jeune (ou moins jeune) femme, pour qui la seule solution est de confier son enfant... Merci pour le soin que vous portez à ces mères, et à nos enfants.

(et Merci Tinote de m'avoir fait découvrir ce témoignage...)

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Commentaires
V
Je viens de relire ce témoignage et je le trouve si humain ! A chaque fois je suis bouleversée.
P
Ce témoignage est boulversant, d'amour, de peine, d'espoir...<br /> <br /> Quelle situation pour cette maman, et que d'amour de la part de cette SF...<br /> <br /> On finit cette lecture en se demandant si quelqu'un sort "gagnant" de cette décision, et puis, c'est l'espoir qui renait quand on sait que ce choix permettra à ce petit bout de connaître probablement des jours meilleurs et plus d'amour...
L
… d'un papa.
E
J'ai lu avec émotion ce texte si dur et si plein de promesse de vie.<br /> Quelle désespérance pour arriver à cette extrêmité!! Quelle solitude dans ce qui devrait être le plus jour d'une vie...<br /> Je l'ai mis en parallèle avec une belle émission passée ces derniers jours sur un service de maternité et le travail des sages-femmes dans "Baby Boom".<br /> Et puis je pense aussi à votre prochain bonheur de parents...<br /> Alors ne retenons que le positif et le bonheur reçu et donné...
A
J'ai été particulièrement touchée par ce témoignage, j'en ai les larmes aux yeux. La question que je me pose est : cette jeune maman, si elle avait eu la possibilité, l'aide pour le garder, l'aurait-elle fait ? Ce doit être une souffrance, une blessure jamais refermée. Terrible.<br /> Le regard de cette sage femme est particulièrement émouvant.
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